Sciences humaines et sociale
1. Extrait d’António Nóvoa (2023), Formation des enseignants : une troisième révolution ?, Revue internationale d’éducation de Sèvres, 94. [traduit de l’anglais]
“À quoi servent les enseignants ? Cette question a été posée maintes fois, et a reçu maintes réponses. Je me permets d’apporter un nouvel élément de réponse : ils servent à libérer le futur (Nóvoa, 2017). Le futur des enfants et celui de la société. Ils servent à élargir les possibilités offertes par l’avenir. Ils servent à défricher de nouvelles voies et à changer des destinées.
L’école est l’une des rares institutions, si ce n’est la seule, dont nous disposons encore pour bâtir un monde commun, en commun, pour tenter, encore et toujours, de fonder une société conviviale, un vivre-ensemble et une démocratie pleine et entière.
Mais pour qu’ils soient en mesure d’accomplir leur mission, de libérer le futur, nous devons également libérer le futur des enseignants, nous devons leur fournir les conditions qui leur permettront de s’affirmer professionnellement et publiquement.”
2. Extrait de Stephanus Muller (2017), Musique et cohésion sociale lors d’un moment décolonial en Afrique du Sud, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°75, p. 129-138. [traduit de l’anglais]
“Fin 2016, après des mois d’une forte présence militaire et policière sur les campus à travers tout le pays, l’institut Africa Open a organisé un concert de solidarité avec les étudiants dans une église de Stellenbosch, située en dehors et en face du campus, appelée la Kruiskerk. Intitulé « You’re in Chains Too », ce concert est apparu comme le moyen, pour des musiciens et poètes renommés, d’exprimer leur solidarité avec les étudiants protestataires, dont un grand nombre avait été renvoyé ou incarcéré injustement pour leurs activités lors des manifestations. L’évènement était également important symboliquement, comme moyen de formuler une réponse artistique à la violence et au traumatisme subis, de créer un sentiment d’unité et de réconfort au sein d’une communauté vulnérable et de forger un sentiment de solidarité entre les personnels de l’université et les étudiants, inquiets de la violence institutionnelle et des réponses policières.”
3. Extrait de Padma M. Sarangapani (2017), Inde : un nouveau paysage éducatif, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°75, p. 15-19. [traduit de l’anglais]
“On assiste actuellement en Inde à la convergence entre une droite ancienne et le néolibéralisme. Dans ses perspectives générales de développement, l’État indien considère la dissension politique comme une perte de temps et de ressources quand, au contraire, tous les citoyens devraient être unis pour le progrès de la nation. Dans ce contexte, la liberté d’expression est considérée comme un luxe inutile et l’activité de ceux n’ayant pas à justifier de leur temps ni de leurs résultats. C’est en fait le système éducatif tout entier qui se fait actuellement « discipliner » en Inde, à travers ce régime de responsabilité, qui vise à instaurer plus d’efficacité et à limiter le gaspillage. L’État fédéral indien a également envoyé des forces de police sur les campus ou exclu des étudiants pour avoir « perturbé » la vie du campus. Après des décennies de progrès vers une pédagogie « centrée sur l’enfant », inscrite dans la Loi sur le droit à l’éducation à travers la clause de non-redoublement, la tendance s’est désormais inversée et la peur de l’échec fait son retour comme outil de responsabilisation : des enseignants pour l’enseignement et des élèves pour l’apprentissage.”
4. Extrait de Mere Skerrett et Jenny Ritchie (2016), Kia tū taiea : honorer les liens. Confiance, éducation et autorité en Nouvelle-Zélande, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°72, 103-113. [traduit de l’anglais]
“Le savoir autochtone maori est un savoir incarné, construit à partir et au sein d’un système de relations. Les aînés, en particulier, transmettaient leur savoir aux enfants avec beaucoup d’attention et de respect. Mais l’histoire de la colonisation est l’histoire d’un présupposé autoritaire de souveraineté, et de l’érosion consécutive de la confiance. C’est l’histoire d’une rupture dans les systèmes de connaissances, les langues et les relations ancestrales ; y compris les liens à la terre et à ses ressources. Cette histoire s’est écrite à travers la guerre et par des lois de confiscation adoptées par le gouvernement en faveur d’un peuple colonisateur, d’une autorité colonisatrice et de la langue des colons. Le système éducatif qui en découle est intrinsèquement linguiciste et raciste. L’histoire du mouvement Kōhanga Reo est donc l’histoire d’une résistance et d’une prise de conscience ; d’une revendication à travers la réhabilitation des systèmes de langues et de connaissances maoris ; et du rétablissement de la confiance et de l’espoir à travers de nouvelles structures proprement maories.”
Fiction
1. Extrait de la nouvelle “Ray’s birthday bar”, Emma Copley Eisenberg (2017) [traduit de l’anglais] :
[…]
Ray fait sonner la cloche quand Gin entre dans le bar. Ses cheveux sont plaqués en arrière, elle porte des bas-jarretelles et une robe-chemise à carreaux qui s’entrouvre sur la brassière de sport trop serrée dont elle se sert pour ceindre ses seins. Je dis souvent que Gin serait le mec idéal si elle n’était pas une femme.
Holàlà, Miss Virginia, je dis.
La cloche retentit à nouveau. Gin attrape la petite main de Rachel et la hisse sur le tabouret près d’elle. Les longs cheveux bruns bouclés de Rachel sont relevés en queue de cheval. Ils sont tellement foncés qu’ils semblent presque noirs, comme les miens, mais bien trop brillants pour être teints. Elle porte une robe violette en coton et pas de maquillage.
Madame, dit Gin, deux de vos meilleurs shots.
À vrai dire, ce sera trois, je dis. T’es une habituée maintenant. Ray, si tu veux bien ?
Ray tire la ficelle. La boule à facettes est de la taille d’une pomme et elle tourne péniblement, projetant des petites tâches de lumière sur la machine à cigarettes près des toilettes, sur l’arête du nez de Tex, sur ses pommettes. Il a le visage d’un ami. Je pose les shots devant Gin.
Et j’te conseille pas de te pointer demain pour en gratter de nouveau trois à l’œil, je dis. Je sais où t’habites !
Oh, ça va, prenez une chambre ! lance Wade, en se marrant.
[…]
Version originale : ©Emma Copley Eisenberg (2017), “Ray’s Birthday Bar”, American Short Fiction, Emerging writers issue, vol. 20, n° 65, été 2017, p. 13-25.
2. Extrait de la nouvelle “Le cas Dan Graves”, Emma Copley Eisenberg (2018) [traduit de l’anglais] :
[…]
Le vent fit s’envoler quelques feuilles brunes qui s’étaient posées sur la terrasse de Dan Graves. Les montagnes commençaient tout juste à s’illuminer. On était en octobre. Elle pouvait y aller maintenant, Meredith le savait. Mais quelque chose dans la pièce la retenait. Il n’y avait nulle trace d’art d’aucune sorte dans cette pièce, et aucun signe qu’on en faisait. Les murs étaient gris et nus. Pour Amy, remplir une maison d’amour revenait à remplir une maison de choses. En parcourant leur maison le samedi, Meredith remarquait les nouveaux objets qui étaient apparus au cours de la semaine – une horloge en forme de chat peut-être, ou encore un abat-jour violet foncé. La collection de poissons en céramique d’Amy, cadeaux de ses parents et amis, envahissait toutes les étagères et surfaces, et le placard d’Alex débordait de baskets et de skateboards.
« Qu’est-ce qui n’allait pas avec l’ancien abat-jour ? », avait demandé Meredith un soir après qu’elles eurent éteint la lumière, son cœur battant dans ses oreilles.
« Il était passé », avait répondu Amy.
« Et que peut bien faire un petit garçon de sept planches à roulettes ? »
« Holà, tout doux, ma chérie », avait dit Amy. « Ce n’est pas parce que ta famille a fréquenté l’église du Renonce à tout ce que tu veux que nous devons faire la même chose. »
[…]
Version originale : © Emma Copley Eisenberg (2018), “The Dan Graves Situation“, Los Angeles Review of Books, n° 16, Art, décembre 2018.